Un Mefistofele diablement passionnant et passionné sur la scène du Capitole (Toulouse le 27/06/2023)

C’est un peu au dernier moment que j’ai eu l’opportunité d’aller voir le dernier Opéra de la saison du Théâtre National du Capitole. Après un Viol de Lucrèce sublime au niveau de la mise en scène et dramaturgie mais dont le traitement musical n’était clairement pas à mon goût (après plusieurs essais, il faut se rendre à l’évidence, le style musical de Britten et ses contemporains ne sont pas fait pour mes oreilles et mon cerveau), j’étais très frileux. J’avais déjà entendu l’œuvre de Boïto en audio dans plusieurs versions (ma préférée si l’on peut dire étant celle de Siepi, Del Monaco et Tebaldi sous la baguette de Serafin), mais jusqu’à présent, je n’avais pas vraiment accroché. Un peu comme pour Wagner que je n’arrive à apprécier vraiment qu’au théâtre… Après cette représentation formidable, j’en arrive à la conclusion que ce sont des œuvres auxquelles je dois assister en direct pour arriver à être emporté ailleurs par la musique et le chant.

De ma place à visibilité réduite, je n’ai pas pu profiter des très belles projections sur le fond de scène en arc de cercle (même organisation que l’on retrouvait également dans la mise en scène finale de Carmen du même J.L. Grinda). Mais je voyais bien la scène, ce qui était déjà pas beaucoup pour une représentation qui s’est joué à guichet fermé. De cette mise en scène, je retiendrai volontiers le très beau traitement des mouvements de foule orchestrés au cordeau avec un chœur et une maitrise du Capitole sous la direction de G. Bourgoin. Les deux ensembles étant toujours aussi impliqués et précis qu’à l’accoutumée et dans une œuvre de cette puissance, ils représente un personnage aussi important que les solistes. Comme pour beaucoup de spectateurs je pense, le tableau de la mort de Marguerite est celui qui provoque le plus d’émotion de part son dépouillement mais également par le jeu de Marguerite. Cette mise en scène représente l’avantage pour le spectateur d’être d’une lisibilité sans faille et parfaitement en adéquation avec le livret et les didascalies.

La direction musicale de Francesco Angelico est superbe, lyrique avec de magnifiques moments notamment dans la gestion entre la fosse et les ensembles avec le chœur, le prologue dans le ciel est rendu avec toute la majesté nécessaire pour nous plonger directement dans le drame. Mais il sait également rendre l’orchestre très intime et magnifiquement touchant comme lors de la mort de Marguerite. Tous les pupitres connaissent leur moment de gloire, à noter quand même les 2 excellentes harpes exigées par la partition, mais les cordes (Ah, ces solo de violoncelle!!!) comme les vents ont été superbes d’un bout à l’autre de l’ouvrage!!!

Les différents solistes sont tous parfaitement à leur place, les voix puissantes comme il le faut et n’étant jamais couverte par l’orchestre. C’est toujours un plaisir d’entendre Marie-Ange Todorovitch totalement désopilante dans le rôle de Marta et pleine d’emphase dans celui de Pantalis la suivante d’Hélène (ici casquée à la manière d’un guerrier grec antique). Sa voix s’est parfaitement mariée à la voix chaude de Béatrice Uria-Monzon qui a donné ce soir à Hélène ses accents de noblesse rendant compte aussi avec tout le dramatisme qu’on lui connait sa douleur dans ses visions de la guerre de Troie.

Le rôle féminin le plus marquant de la soirée était bien sûr le rôle de Marguerite avec notamment la scène du Jardin mais surtout cette magnifique scène où elle meurt en perdant la raison. La voix puissante de Chiara Isotton fait merveille et nous prend aux tripes. Son « L’altra notte in fondo al mare » est vraiment empreint d’une émotion particulièrement intense et représente pour beaucoup le climax de cette soirée. Son rejet de Faust n’en est que plus violent!!! Cette voix surpuissante dans ce théâtre est parfaitement maitrisée et quand elle fait dans les demi-teintes et le mezza-voce, elle est vraiment magnifique avec des couleurs fauves superbes et des aiguës tranchants. Son jeu est également très convaincant, jusqu’au mouvement brusque des mains rendant compte physiquement de la folie dans laquelle sombre le personnage depuis son emprisonnement. Elle recueille lors des saluts un triomphe amplement mérité!!!

Le Faust de Jean-François Borras appelle les mêmes éloges que sa partenaire féminine, sa partition étant plus fournie, la voix est bien entendu plus exposée. Toute aussi puissant que sa partenaire, les ensembles ne lui font pas peur et il reste audible en toute circonstance. Il maitrise lui aussi sa palette vocale en fonction de l’âge du personnage. Lors du 1er acte, ces 1ères phrases sont empreintes d’un léger vibrato vieillissant sa voix, vibrato absent dès qu’il est rajeuni par Faust. Lui aussi récolte un très beau triomphe lors des saluts.

Enfin le rôle de Mefistofele était tenu par la basse Nicolas Courjal déjà appréciée à Orange il y a quelques temps (https://carayonk.wordpress.com/2019/07/14/guillaume-tell-a-orange-en-plein-dans-le-mille/)… Il brule les planches avec une interprétation qui reprend toutes les facettes d’un art interprétatif superlatif: la vanité de pouvoir parier avec Dieu, sûr de lui, il interprète son « son lo spirito che nega » avec puissance, ironie et humour, des nuances pas si souvent présentes dans ce rôle qui peut être cantonné à un monolithe de haine et de terreur… Tout au long de l’opéra il distille son venin afin de pousser Faust dans ses filets. Il est intéressant de voir que dès l’acte IV, il sent qu’il perd de son pouvoir et de son emprise sur Faust et malgré ses efforts, Faust sera finalement sauvé et son pari perdu. La voix est également superbe et sonore. Les nuances intéressantes et l’interprétation diabolique mais pas que… C’est ce qu’il fait de son Mefisto qui je pense m’a le plus passionné dans cette mise en scène!

Un spectacle qui clôture en grande pompe une saison magnifique, en attendant les pécheurs de perles de la rentrée prochaine… Il me reste le concert du 10 juillet donné par Anaïs Constans et Kévin Amiel.

Crédit photo : Mirco Magliocca